Après une pause involontaire mais indispensable, revoilà le défilé des communs avec une palme d’or, un livre qui explique une façon de faire un livre, un film maquillé et un jeu créatif. Bonne lecture, et comme d’habitude, n’hésitez pas à partager ce défilé ni à donner des retours.
Alice Zeniter, une écrivaine au travail
De Richard Gaitet et Alice Zeniter
Je vous ai déjà parlé de ma passion pour le travail de Richard Gaitet dans son podcast Bookmakers. En janvier, les éditions Points et Arte Éditions ont eu la bonne idée de transformer cette série d’entretiens en livres. Comme il est d’usage pour ce genre de transcriptions d'œuvres disponibles gratuitement sur internet, ce livre est agrémenté de quelques passages supplémentaires. Je ne saurais pas dire lesquels ont été rajoutés ni quelle est la plus-value quantitative par rapport au support audio, mais la plus-value qualitative est certaine. Pouvoir se référer à une page, à un chapitre plutôt qu’à un moment précis, avoir le texte sous les yeux et y revenir comme bon nous semble est on ne peut plus agréable. Les longs extraits des œuvres permettent de mettre en lumière, plus encore qu'avec le podcast, les tics et techniques qui sont décrites quelques lignes plus haut.
Le travail sur la mise en page, pour rendre le tout lisible et agréable, est important et permet à ce livre de respirer, faisant de lui un ouvrage réfléchi et bien produit. Pour peu que l’on s'intéresse à la création littéraire, la collection Bookmaker risque de devenir un incontournable dont je prendrais plaisir à me référer de temps en temps.
Alice Zeniter, une écrivaine au travail (2023), de Richard Gaitet et Alice Zeniter, aux éditions Points, 10€
Vidéodrome
de David Cronenberg
Je ne suis globalement pas un grand amateur des films de Cronenberg, mais comme avec beaucoup de ces réalisateurs qui ont bonne presse, j’ai l’impression de passer à côté de quelque chose. Je m’impose donc régulièrement de voir tel film que je n’ai pas encore vu, espérant que ce soit celui qui crée le déclic nécessaire à un nouvel amour culturel.
Videodrome est l’un de ces films qui a permis au réalisateur de donner son nom à un style de cinéma. Une œuvre cronenberguienne, donc, où les effets spéciaux faits à partir d’un maquillage gore et où le corps humain est central, permettant de filer une métaphore organique et parfois légèrement appuyée. Ici, la télévision et son avidité de sensationnalisme sont le cœur de la critique. Tout est réalisé convenablement, un film hollywoodien qui aimerait bien être un peu à côté, mais qui finalement n’y arrive pas. Bien que le gore et la critique soient là, finalement, tout est très convenu. L’entrepreneur prêt à tout qui petit à petit s’enfonce dans quelque chose qui le dépasse et arrivera à s’en sortir en détruisant la part (sa part ?) du pire. Une histoire racontée une bonne paire de fois, qui n’est pas désagréable, mais qui n’ose au final pas grand chose. Reste le maquillage.
Vidéodrome (1983), de David Cronenberg, visible en streaming
Anatomie d’une chute
de Justine Triet
Une palme d’or appréciée par à peu près tout le monde, de François Bégaudeau à Ecran Large en passant par Lucile Commeaux, a peu de chance de me décevoir. Rajoutons à cela que Justine Triet fait le meilleur discours de nouvelle palmée depuis bien longtemps, je ne pouvais pas laisser passer beaucoup de temps avant d’aller voir ce film.
Anatomie d’une chute n’est pas ce pour quoi il est parfois vendu : un film de procès ou une sorte de thriller. L’affiche choisie par Justine Triet est d’une justesse confondante : nous y voyons un couple pris sur le vif. Une photo moche, une photo du quotidien, une photo de l’instant. La seconde affiche, choisie quant à elle par le distributeur pour la diffusion internationale, nous présente une vue plongeante sur un cadavre. Cet évènement, bien sûr central dans le film, n’est pourtant pas le sujet. Tout le film tourne autour de la notion de vérité et de la parole. Qu’est-ce que la vérité quand la seule possibilité de l’établir est par la parole humaine ? Y a t-il une vérité, ou plusieurs, qui parfois s’affrontent ? La vérité d’une personne est-elle celle du voisin ? Pour au final poser la question qui découle de tout ça : la vérité existe-t-elle ? Pour y répondre, Justine Triet nous emmène dans l’intimité du couple par le biais d’un procès qui petit à petit, n’arrivant pas à établir cette vérité recherchée mais introuvable, fait de plus en plus le procès de la possibilité du crime. Un procès qui devient celui de la morale contre une personne considérée comme déviante.
La réalisatrice montre avec subtilité que tout n’est que question d’interprétation et de subjectivité. Même la science, qu'elle soit physique (deux experts vont s’affronter sur deux théories diamétralement opposées) ou psychanalytique. Tout n’est plus que question de point de vue. Et d’ailleurs, nous sommes régulièrement transportés dans le point de vue de celui qui pourrait être la clé : l’enfant du couple. Le quasi (double) huis-clos qui nous est proposé est mis à mal par les incursions sporadiques des pensées de Daniel (Milo Machado Graner). Cette mise en scène est suffisamment rare pour améliorer le film sans l’alourdir. Et c’est aussi une grande force de cette réalisation : ne pas en faire trop, se concentrer sur l’essentiel, oser les ellipses. Et de sacrées ellipses. Entre les deux parties, un an passe et nous n’y reviendrons pas. Seul petit bémol, l’évolution de la relation entre l’avocat (Swann Arlaud) et Sandra Voyter (Sandra Hüller) dont nous aurions pu nous passer ou qui aurait pu être plus subtile.
La parole est l’élément le plus important du film et est magistralement travaillée. Sandra Voyter est allemande, elle parle anglais avec son fils et son mari. Justine Triet montre par ce geste (la parole) la façon dont elle est mise en difficulté par l’institution. Et oser, dans un film, faire de la parole le geste principal, c’est à mon sens un coup de maîtresse.
Bref, ce film, bien que très économe, est une grande réussite. Peut-être pas le plus impressionnant du moment, mais une maîtrise parfaite de la parole au cinéma.
Anatomie d’une chute (2023) de Justine Triet, actuellement au cinéma
Psi*Run
de Meguey Baker
J’ai joué à Psy-run avec un couple d’amis qui n’ont jamais vraiment pratiqué le jeu de rôle sur table. Après avoir acheté le jeu et l’avoir parcouru, je me suis tout de suite dit qu’il était parfait pour une initiation à la narration partagée. Les règles sont très simples et permettent des possibilités quasi infinies dès la création des personnages. Même si, certainement en raison des possibilités très étendues, les deux joueuses ont eu quelques difficultés los des premières minutes, elles se sont rapidement prises au jeu et nous avons eu la chance de créer une histoire très drôle à partir de rien ou presque.
Les lancers de dés permettent de créer des situations, mais le hasard est largement limité par le fait que nous choisissons sur quels aspects il y aura réussite ou non. Et selon ce qu’il se passe, la narration passe d’une joueuse à l’autre ou au meneur. Cette mécanique forte permet d’avoir le contrôle tout en laissant surgir une grande part d’aléatoire. Cet aléatoire qui est la première force de l’imagination dans une partie de jeu de rôle.
Psi*Run (2012) de Meguey Baker, chez Electric Goat, 7€ en numérique, 15€ imprimé + numérique